Interview star du poker #003 (Part1) : Manuel "Manub" Bevand
30 juin 2009. Hôtel Rio à Las Vegas. 30 minutes avant le début du 5 000 $ short-handed.
- Salut manub !
- Salut les gars ! Alors, c'est lequel d'entre vous SuperCaddy ?
- C'est moi.
- Et lequel d'entre vous est avec moi table 37 ?
- Aaaaaarrgghh [succession de jurons que la bienséance nous contraint de censurer]
Si la perspective de partager la même table que Manuel Bévand, alias Manub, m'a légèrement sapé le moral ce jour là, c'est un peu parce que ce dernier est réputé pour ses resteals agressifs depuis les blinds. Mais c'est surtout à cause des quelques faits d'armes à son actif depuis le début de sa carrière de joueur professionnel.
Une carrière finalement assez récente puisque c'est en 2006 qu'il saute le pas et quitte son job de développeur de jeux vidéo. Que dire de la suite ? Quelques mois d'apprentissage en live et on line, puis quelques jolies performances dont une victoire dans le Sunday Warm Up de Pokerstars et un gain de 70 000 dollars à la clé. Manub se mettra alors en quête d'un sponsor. S'investissant d'abord dans le challenge Live the Dream d'Everest Poker, il créera un tel engouement autour de sa personne que Winamax lui proposera très vite un contrat de sponsoring. Un peu plus tard, il publiera même son premier livre : « Poker : passer pro ».
Autant d'éléments sur lesquels l'entretien qui suit permet de revenir. Mais bien d'autres sujets y sont abordés, Manub étant quelqu'un de passionné, connu pour ses centres d'intérêt divers et variés.
Salut Manub ! J'avais prévu pour toi un copier-coller des premières questions de ma précédente interview, c'est-à-dire celle de Julien Brécard alias Yuestud. Malheureusement celle-ci commençait par « Félicitations pour tes superbes résultats à Vegas ». J'ai donc logiquement été contraint d'apporter quelques modifications. Peux-tu nous parler un peu de tes WSOP et de la façon dont tu les as vécus ?
T'as raison, on peut difficilement parler de « superbes résultats » puisque je n'ai obtenu qu'un seul ITM sur dix tournois (alors que la moyenne se situe plutôt autour de 2). Je n'ai pas l'impression d'avoir joué à 100%, j'ai eu des baisses de régime à certains moments et mon A-Game n'était pas au rendez-vous à tous les instants, ce qui pose problème en no Limit ou chaque erreur peut signifier la fin. En même temps, je peux pas dire non plus que j'ai run good.
Néanmoins je suis assez content de l'unique perf que j'ai réalisée (23ème dans un 2 000 $) puisque l'ambiance était géniale (TaLL et Almira on fait table finale dans celui-là), que je me suis battu comme un lion (comme un Rhino ?) sans avoir de jeu tout le tournoi et qu'à un flush draw près (le coup énorme où je sors qui m'aurait fait tripler), je me dirigeais aussi vers la table finale !
Le jeu en MTT peut générer énormément de frustration (long temps de jeu pour gain souvent minime ; longues périodes sans perf ; violence de la sortie de tournoi). Tu n'as jamais envie de te remettre à 100% au cash game ? Comment gères-tu psychologiquement les périodes noires ?
En fait j'ai découvert que le jeu en MTT correspondait à ma personnalité et me procurait plus de plaisir que de jouer en CG, justement à cause de la nature de la variance au jour le jour.
Quand tu fais une grosse session de MTT qui se passe mal, tu perds au maximum tes buy-ins et si tu gères bien ce n'est qu'une partie peu importante de ta bankroll. Ce n'est pas facile psychologiquement, mais j'encaisse ça mieux qu'une grosse session négative en CG à -10 ou -15 caves. Et aussi, rares sont les sessions de MTTs qui ne procurent pas un petit frisson avec l'approche d'une grosse TF ou un deep run quelque part. La perf paraît donc toujours à portée de main et c'est un gros facteur de motivation pour persévérer.
Ensuite, je trouve que gagner un tournoi est bien plus rémunérateur du point de vue « plaisir » que de faire une bonne session de CG. Attention, je ne parle pas de skill, juste de plaisir ressenti. Gagner un tournoi, ça te fait planer plusieurs jours, tu te mets à adorer ce jeu à nouveau, et je ne pense pas que le CG puisse procurer ce genre de sensations à ce niveau d'intensité.
Enfin d'un point de vue purement financier, les parties de CG sont devenues bien plus dures qu'auparavant alors que le niveau global des MTTs n'a pas spécialement explosé. Je ne suis pas sûr d'avoir envie de mener une guerre de variance interminable avec d'autres regs et un rake de plus en plus significatif, tout ça pour se partager le maigre cheptel de fishs qui s'amenuise de jour en jour.
Enfin, je sais que c'est injuste, mais d'un point de vue notoriété une perf en MTT vaut beaucoup plus qu'une période gagnante équivalente en CG...
Je me permets une petite parenthèse qui me tient à cœur : penses-tu, comme Yuestud, que le Rhino « sociologiquement parlant, c'est très intéressant » ?
C'est indéniable, d'ailleurs ma propre étude sociologique touche bientôt à sa fin. Je pense avoir fait le tour de ces endroits et j'y prends de moins en moins de plaisir. C'est toujours marrant d'y voir évoluer certaines personnes, par contre (pas de nom évidemment).
Manub qui se lasse du Rhino, ça fait un petit choc. Un peu comme quand Rocco s'est mis au cinéma d'auteur. Crise de la quarantaine précoce ou découverte de nouveaux terrains de jeux ?
Crise de la quarantaine ? FFFFFFFFFFFFFFFFUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUU (Ndlr Manub à 33 ans)
Revenons aux sujets plus sérieux, et notamment un épisode charnière de ta vie de joueur de poker, à savoir l'épopée Live the Dream d'Everest et ton recrutement dans le team Winamax. La décision de rejoindre Winamax a-t-elle été facile à prendre ? A-t-elle en partie été motivée par tes craintes de ne pas être retenu par Everest Poker ?
Maintenant je peux le dire mais je pense que c'était dans la poche avec Everest à 99% vu le foin que le Club Poker avait fait pour ma candidature. Cependant je n'ai pas réfléchi bien longtemps quand Winamax m'a approché, car leur proposition était meilleure et surtout la perspective d'entrer dans cette équipe me faisait saliver.
Comment as-tu abordé le fait d'être un des derniers à rejoindre le team ? Tu peux nous parler un peu de ton intégration, des éventuels rites barbares de bizutage que tu as subis...
C'était horrible. Ils m'ont fait faire des trucs que la décence ne me permet pas de décrire, même dans une interview de SuperCaddy. A part ça, je connaissais déjà un peu les membres pour les avoir côtoyés à la table ou comme invités à CP Radio donc je me suis intégré, pour paraphraser mon ami Jaybee, « comme papa dans maman ».(Note de SuperCaddy :C'est une formule raffinée, comme souvent avec Jaybee.)
Depuis que tu as intégré le team Winamax, quel facteur a selon toi le plus favorisé ta progression : côtoyer de façon régulière des joueurs expérimentés, jouer un grand nombre de mains en live, pratiquer le poker avec une pression différente ?
Ce fût un gros retour sur terre. Je me croyais bon à ce jeu, moi ! :-D Les discussions quotidiennes avec ces joueurs brillants m'ont confirmé la marge de progression qui me restait à parcourir. J'ai l'impression d'avoir immensément progressé dans ces quinze mois.
Finalement la composition du team Winamax est assez hétéroclite. On y trouve des joueurs de hautes limites cash-game on line, des spécialistes du jeu live, des reconvertis (Vikash Dhorasoo ou Almira Skripchenko)...etc. Quels sont les membres du team auprès desquels tu apprends le plus, que ce soit en discutant ou en observant leur jeu ?
Chacun m'a apporté quelque chose.
Arnaud est un peu mon maître à penser, je le trouve brillant dans son approche du jeu et sa capacité à tout intégrer dans une décision. Dès qu'il parle de poker je me tais et j'écoute. Non, j'suis pas amoureux. :P
Nico est le théoricien par excellence, le mec qui a tout lu, tout essayé et tout modélisé intellectuellement, celui que je vais voir quand j'ai besoin qu'un concept essentiel soit clarifié dans ma tête.
Cuts a une façon impitoyable de critiquer les mains, totalement dénuée de sympathie ou de diplomatie. Quand tu fais de la merde, il te le dit sans enrober ça dans du miel. C'est pas toujours facile à entendre, mais au final ça fait du bien.
Antony L. est un pur talent mais surtout il joue sans la moindre peur, il met une pression d'enfer, et il a une expérience de live incomparable. Jouer avec lui en devient pénible tellement il scrute chaque petit détail pour chercher des tells.
Tallix c'est la force tranquille, le roc au milieu de l'océan déchaîné. Quand tout le monde râle, peste contre la malchance, c'est le mec à écouter pour relativiser et se rendre compte qu'il n'y a pas lieu de s'énerver tant que ça à cause d'un bout de carton qui ne s'est pas retourné comme il fallait.
Vikash m'a beaucoup impressionné récemment avec son jeu solide et sérieux, il arrive à conjuguer deux extrêmes difficile à joindre : jouer pour gagner mais ne même temps sans flamber. Le small ball naturel, quoi. Il a un mental super solide et une tenue à table irréprochable. Pas mal pour un amateur...
Alexia me rappelle constamment la cruciale importance de la patience en poker de tournoi, probablement mon plus gros leak. Elle est capable de jouer short stack pendant des siècles avant de remonter. Ca me fait tilter rien que d'y penser !
Michel c'est un peu le chercheur du Team, un vrai passionné qui cherche tout le temps à progresser et à atteindre la perfection. Il considère chaque main de poker comme un problème et ne lâchera rien avant d'avoir trouvé une solution optimale, quitte à parcourir des chemins de pensée inhabituels. Nico aussi est un peu comme ça. Il suffit de discuter de bridge quelques minutes avec lui pour réaliser la force de son esprit logique.
Almira est une pure force intellectuelle. Dès qu'elle aura mis le poker sur le devant de ses préoccupations, ça risque de devenir assez terrifiant. Elle joue aussi extrêmement bien de son image pour passer des moves, et on sent une grosse sérénité dans son jeu malgré sa relative inexpérience, forgée par l'habitude de la compétition à haut niveau avec les échecs. Elle a aussi une joie de vivre très appréciable et ne souhaite pas parler de poker tout le temps, ce qui est plutôt rafraichissant selon les circonstances !
Moumouth a une faculté de lecture assez impressionnante. C'est peu connu, mais il a aussi une facilité déconcertante avec les chiffres et la mémoire (à la limite de rainman !). Ca me rappelle toujours les limites de mon petit cerveau et donc la nécessité de bosser pour progresser.
Davidi c'est le GENIE ! Le mec qui a le plus de bon sens et de logique naturelle, peut-être celui qui ressent le plus ce qui se passe réellement à table et qui est capable de mettre son ego de côté pour toutes ses décisions. Une qualité admirable qui me paraît tellement loin que ça me désespère...
Et enfin Johny, faut le voir à l'œuvre pour comprendre qu'il pratique le poker-qui-rend-fou. C'est le maître de la gestion de l'image et de la manipulation des ranges adverses. Avec quelques phrases sur le forum, il a fait énormément progresser ma réflexion à l'époque où j'avais un jeu TAG un peu mécanique, sclérosé. Sa seule faiblesse, c'est qu'il est nul au tennis.
J'ai presque l'impression que tu prends plus de plaisir à parler des autres que de toi-même. Il ne faut pas être un peu mégalo ou égocentrique pour réussir dans le poker ?
Il faut être un peu mégalo pour réussir n'importe où. Sans ambition et la conviction qu'on est fort quelque part, on n'arrive jamais à grand-chose. J'ai été comme ça dans mes folles années de jeunesse mais aujourd'hui je suis presque un vieux sage qui regarde ça avec détachement - enfin, j'essaie.
Dernièrement, on a pu suivre ton twitter pour obtenir des informations rapides et détaillées sur le déroulement du Main Event de Cuts et Yuestud. Le poker reste-t-il une discipline totalement individuelle quand on fait partie d'un groupe ?
On reste seul face à ses cartes et ses décisions. Mais le fait de se savoir soutenu et accompagné joue un grand rôle dans la solidité mentale, un aspect indispensable du poker moderne, probablement celui qui fait le plus la différence.
La question du salopard : selon Yuestud, « Winamax est toujours en quête d'élitisme et il n'est pas exclu que des nouvelles têtes fassent leur apparition un jour ». Penses-tu t'intégrer dans cette quête d'élitisme ?
Je ne me considère pas dans l'élite des joueurs français, si c'est ça la question. Enfin, ça dépend ce qu'on appelle l'élite. En MTT je pense être facilement dans le top 20 français (on sait que la 2eme place est déjà prise :-D ) si tu prends en compte live et online, mais il y a beaucoup d'autres disciplines et tellement de nouveaux bons joueurs que la concurrence est rude. Et surtout, la différence entre moi et ceux qui sont tout au sommet reste assez importante.
Enfin, je ne pense pas avoir été recruté parce que je suis un joueur exceptionnel, mais plutôt parce que je suis apparemment quelqu'un qui arrive à créer un buzz et fédérer du monde derrière lui, avec les forums, la radio, mon twitter, mes articles, des passages médias etc... Et accessoirement je ne suis pas trop une quiche. :P
La 2 ème partie de cette interview dans quelques jours, ainsi que les deux questions des lecteurs selectionnées qui ont remportées les cadeaux offerts par Winamax à cette occasion.