Jouer une main moyenne en position UTG
En me baladant sur le blog de Kof ces derniers jours, je suis tombé sur une main qui m’a paru intéressante et qui rentre dans le cadre d’un article que je voulais écrire destiné aux débutants concernant les mains moyennes en position UTG. Mon but dans cet article n’est pas de critiquer la façon dont Kof a joué cette main (on commet tous des erreurs et il est toujours plus facile d’avoir du recul quand on n’est pas directement concerné !). Je lui ai donc demandé l’autorisation de me servir de cette main comme support à cet article. Vous pouvez retrouver cette main ci contre. Ou bien encore en version plus grande ici.
Donc petite mise en situation. Kof joue un tournoi freeroll Club Poker « défi des étoiles » où il y a 20 tickets à gagner, il reste 42 joueurs et il a devant lui 41 BB. Je ne connais pas la moyenne en BB de l’ensemble du field, mais si je m’en réfère à la moyenne de la table Kof doit à ce moment là être plus ou moins dans la moyenne du tournoi. Au départ de cette main, Il est donc en position UTG. On le découvrira au showdown, mais on va se mettre dans sa peau : une paire de 88 lui est servie.
La position UTG (Under The Gun) a ceci de particulier, qu’elle est la plus avancée préflop, donc le joueur qui se retrouve dans cette position va être le 1 er à parler. Le poker est avant tout un jeu de décisions, celles à disposition du joueur en position UTG sont toujours trinaires (je ne sais pas si ce mot existe mais on fait comme si lol) préflop. A savoir dans l’ordre d’agressivité : folder, caller la big blind (limp) ou raiser.
La position UTG est aussi la plus exposée, puisque toute la table va devoir parler après elle. Si le joueur UTG a ouvert le pot en limpant ou en raisant, les joueurs suivants auront leurs décisions influencées par celle de ce joueur. 1 ère constatation : du fait que ce joueur soit sous « le coup de fusil », il va devoir resserrer les mains de départs avec lesquels il va pouvoir rentrer dans le coup. Exit donc toutes les mains marginales qui n’auraient comme unique intérêt que de le mettre dans « une bonne galère » par la suite. A titre informatif, voici plus ou moins les mains avec lesquels un débutant peut jouer dans cette position : AA KK QQ JJ AK AQ TT 99 88 77.
Mais cette position ne connaît pas que des désavantages, puisque si le joueur concerné décide de rentrer dans un coup en raisant, il va souvent avoir un avantage psychologique sur ses adversaires. Il n’est pas rare de voir toute la table folder suite à un raise d’un joueur en position UTG. La fold équity (capacité à faire folder ses adversaires) dans cette position est bien plus importante qu’au bouton par exemple. Ce qui veut dire que les adversaires sont souvent attentifs à une décision agressive (raise) de ce 1 er joueur. D’ailleurs les bons joueurs « loose aggressifs » se servent souvent de cette position et de la méfiance que les adversaires lui portent pour « bluffer » en raisant avec des mains marginales quand le tournoi est déjà bien avancé. Mais le débutant lui n’en est pas là, son analyse de ses adversaires et du jeu en général étant plus réduit qu’un joueur confirmé, il doit absolument jouer un poker plus « conventionnel » dans cette position, pour ne pas « s’embarquer » dans des coups mal venus.
La table (serrée ou loose), le niveau d’agressivité et les tapis adverses ont également une importance considérable sur les actions adverses possibles suite à un raise UTG. En effet, plus la table sera loose, agressive et les tapis importants, plus il y aura de chances que le joueur UTG soit callé ou raisé. En revanche, plus la table sera serrée, passive et plus les tapis adverses seront petits, plus le raise du joueur UTG sera respecté.
Donc dans le cas de Kof, il lui est distribué une paire de 8. Une main intéressante. Tout d’abord puisque c’est un paire servie, mais aussi parce que c’est une paire médiane. En effet la paire de 8 domine 6 paires (22 33 44 55 66 77) et est dominée par 6 paires ( 99 TT JJ QQ KK AA). Il s’agit donc d’une paire moyenne servie position UTG. La position plus la valeur de cette main la rendent difficile à jouer. Je vais donc passer en revue les trois solutions qui s’offraient à lui quand il a découvert cette paire de 8 :
Fold : Cette solution est tout à fait envisageable, surtout si la table est à tendance agressive. Bien que dominant la plupart des mains préflop (elle est dominé préflop par 6 mains uniquement 99-TT-JJ-QQ-KK-AA), elle n’aura que peu de valeur sur bons nombre de flops. Il y a 24 cartes pouvant dominer le 8 dans le paquet. Les : 9, 10, J, Q, K, A de chaque couleur. 7 fois sur 8 au moins une carte de valeur supérieure apparaitra. Face à un, voir plusieurs adversaires, il risque donc d’être difficile de jouer cette main au flop avec des cartes de valeurs supérieures qui pourraient apparaître. Le cas particulier du satellite impose d’ailleurs plus de prudence. Kof étant plutôt bien parti pour obtenir un ticket, il aurait donc pu sans souci folder cette main, ne pas perdre de jetons et attendre une main et/ou une position plus favorable.
Limp : Le limp a souvent pour objectif de toucher un brelan au flop avec une petite paire servie. Cependant ce que l’on appelle l’open limp (ouvrir un pot en callant la big blind) est à utiliser en fonction de la table sur laquelle le joueur UTG se trouve, car c’est un mouvement qui fera souvent perdre sa mise initiale au joueur UTG qui possède une main moyenne. Le limp UTG va en général provoquer deux types d’actions chez les adversaires. 1 :D’autres joueurs risquent de limper à leur tour. Ainsi en prenant la décision de limper, le joueur UTG va ouvrir les côtes du pot aux autres. Kof s’il avait limpé, aurait du investir dans le cas présenté 400 jetons dans un pot qui en comporte 920 avant sa mise, soit 43.5 % de la taille du pot. Le joueur suivant lui, qui imaginons avait en main 9-10 de trèfle qu’il avait prévu de jeter, risque alors de se dire « tiens moi aussi je vais aller voir le flop », en effet ses 400 jetons ne représentent plus que 400 dans 1320 soit 30 % du pot, pour un troisième joueur 400 dans 1720 soit 23 %, etc. Il n’est donc pas rare de voir quasiment toute la table limper de concert suite à un limp UTG. Certains joueurs rentreront même avec n’importe qu’elle main espérant provoquer l’accident au flop. Le joueur UTG a dans ce cas des côtes implicites (je reviendrai sur cette notion dans un prochain article) très importantes, il va la plupart du temps battre toute la table, si un 8 tombe au flop. De plus, il aura embarqué dans de nombreux cas une ou plusieurs petites paires. Si un de ces autres joueurs touche au flop un brelan inférieur, il va y avoir ce que l’on appelle un setup (set over set) et là le joueur en position UTG va pouvoir soutirer le tapis de son adversaire dans « quasiment 100 % des cas ». 2 : Suite à des limps successifs, un joueur agressif avec une main marginale ou un joueur avec une main premium type AA ou KK en fin de parole lui misera gros pour « arracher » le pot devenu conséquent ou pour protéger sa main premium. Et là pas beaucoup d’autres choix que de folder. Si le raise d’un adversaire est un mini-raise (double de la big blind), le joueur UTG pourra le caller, les cotes restant intéressantes. Mais dans ce cas, il ne devra pas miser s’il ne touche pas un brelan au flop. En anglais « No set, no bet ». Le limp UTG est donc une solution à utiliser sur les tables très passives, car cette décision s’écarte de l’essence même du poker qui consiste à gagner des coups en agressant ses adversaires. Le quasi seul cas où le limp UTG peut-être éventuellement justifié sur une table agressive est de prendre cette décision avec AA ou KK, dans l’espoir de voir s’emballer le coup préflop et d’isoler un adversaire qui aurait relancé en le surrelançant par la suite.
Raise : Voici avec le fold, l’autre décision à considérer en général avec une main moyenne en position UTG . Les antes dans l’exemple ont fait leur apparition. Ces antes représentent dans le poker de tournoi de la « dead money » (argent mort), qu’il peut-être intéressant de s’accaparer. D’autant plus que si la table est serrée, elle va certainement voir le raise UTG comme un signe de force extrême qu’il faut fuir. Si la table est loose, cette relance sera certainement callé ou surrelancé. Un bon joueur loose aggressif aura lui pour idée de voler la relance du joueur UTG et relancera bien souvent les relances du 1 er de parole avec une main « pas très forte ». On appelle cette arme efficace : le 3Bet-Light, peu utilisé sur les freerolls ou les micro-limites. En règle générale il faudra donc folder en cas de forte surrelance. Si la relance UTG n’est pas suivie, c’est donc tout bénéfice. Si elle est callé, elle le sera souvent par un joueur passif : loose ou serré. Il est donc primordial de ne pas engager trop de jetons lors de cette relance initiale. 2.5 fois la big blind est suffisant car dans le cas qui illustre cet article le tapis moyen ne permet pas d’engager plus de jetons. Lors de la main jouée par Kof, la principale erreur réside dans le fait que sa relance est faite à hauteur de 5 big blinds, c’est beaucoup trop comme nous le verrons plus tard sur ce niveau de blinds au vue des tapis moyens. Une relance à 2.5 fois la big blind qui est callée permettra au flop de faire ce que l’on appelle un continuation bet (mise de continuation) peu importe ou presque le flop tiré. En effet le poker est un jeu d’agression qui donne souvent raison à l’agresseur. Agresser préflop puis au flop permet de remporter un bon nombre de pots. Les flops n’améliorent pas souvent les mains de départ et l’adversaire foldera la plupart du temps lors de la mise de continuation, surtout en position UTG, car le joueur à donné de sa main une image très forte. Cette mise au flop doit bien sûr être suffisante pour faire fuir l’opposant (entre ½ et ¾ du pot en général). Avec une paire de 8 qui n’a pas touché son brelan et où le joueur UTG a effectué un continuation bet, il faudra la plupart du temps coucher sa main en cas de surrelance de l’adversaire au flop surtout si c’est habituellement un joueur serré passif qui bluff peu.
Maintenant intéressons nous à la façon de jouer cette main par Kof. Joueur en position UTG avec une paire de 8, il décide de relancer à 5 big blinds, ce qui est énorme ! Il vient de faire grossir le pot d’une façon considérable. Un joueur le call. Le pot est alors de 4920 avant que le flop ne tombe, soit un peu plus de 12 big blinds et surtout ce pot représente 33 % environ du tapis restant à Kof. S’il avait relancé à 2.5 BB (1000 jetons), l’autre aurait certainement callé de la même manière et le pot aurait alors eut une valeur de 2920 soit environ 7 big blinds. Kof aurait eu à ce moment là 15505 jetons devant lui. Le pot aurait donc représenté seulement 18 % de son tapis avant que le flop ne soit tiré, presque deux fois moins !
Le flop tombe : 2-3-4. C’est un flop intéressant et dangereux en même temps pour Kof. Intéressant parce qu’il dispose d’une overpair. Dangereux car ce flop offre de multiples possibilités à l’adversaire : brelan de 2, 3, 4, quinte flopée s’il a en main A5 par exemple, tirage quinte par les deux bouts s’il a un 5 en main, tirage quinte A5 s’il a un A, tirage quinte ventral s’il a un 6 et tirage backdoor s’il à un 7. Et aussi bien sûr, l’autre peut avoir suivi la relance préflop avec une overpair supérieure à celle de Kof.
S’il avait fait une relance préflop à 2.5 fois la BB, Kof aurait pu sur ce flop faire un continuation bet pour 4.5 big blinds par exemple. L’autre aurait certainement relancé et Kof aurait eu le choix toujours possible de coucher sa main. Montant total investi dans le coup : 7 BB. Son tournoi n’était pas en danger et il aurait largement eu le temps de trouver une meilleure occasion par la suite pour remporter des jetons. Le problème avec la relance préflop à 5BB c’est qu’elle lui impose de « taper fort au flop ». Il décide de miser le pot, l’autre le surrelance à tapis, Kof est commit (il a engagé trop de jetons dans le pot par rapport à la taille de son tapis pour folder), donc il call. L’autre montre 99. La main est perdue et le tournoi terminé. Il aurait pu mettre tout son tapis pour agresser son adversaire au flop cela n’aurait rien certainement rien changé !
Kof dit sur son blog qu’il a fait une mauvaise rencontre, ce qui n’est qu’en partie vrai. Ses propos me font dire qu’il pensait certainement être devant au flop et/ou qu’il a eu peur du flop et a « envoyé la sauce » en espérant faire folder son adversaire. Nous le savons la relance à 5 BB a été callé par le joueur à la paire de 99. Un bon joueur avec cette main, avait plutôt un choix binaire qui lui était proposé à savoir raise (voir push) or fold. Pourquoi raiser ou pousser son tapis avec une paire de 9 dans cette situation ? Pour deux raisons : Isoler Kof avec cette surrelance, mais surtout il aurait pu exploiter la relance initiale non-standard à 5 BB en imaginant une main moyenne surjouée et s’emparer des jetons. En effet Kof, consciemment ou inconsciemment, comme beaucoup de joueurs a sur-joué sa paire moyenne UTG en relançant fort préflop pour chasser un maximum d’adversaires avec une main qu’il savait certainement dangereuse pour lui. (Dans le cas inverse beaucoup de joueurs sous-jouent les mains premiums.)
Donc en relançant à tapis avec sa paire de 9, le joueur aurait imposé un choix compliqué à Kof, tout en gardant de la marge en termes de jetons pour la suite de son tournoi s’il était callé et battu. Ainsi il aurait pu faire folder un éventail de mains très large, jusqu’à une paire de QQ, si Kof est un joueur très serré et qu’il imagine en face AA ou KK. Une situation sur le long terme qui est forcement profitable, puisque la fold equity est énorme avec un move tel que celui-ci( le joueur UTG ayant peur s’il call de se faire éliminer du tournoi à cause d’une main qui finalement est moyenne). La plupart du temps le joueur qui avait les 99 remportera le pot préflop s’il opte pour cette solution et profitera donc du trop grand nombre de jetons mis dans le pot par le joueur en position UTG.
Bref, le joueur aux 9 a callé passivement. Sans le connaître, on peut assez facilement le mettre sur un éventail de mains qu’il soit loose ou serré. Toutes les paires et tous les As bien ou mal accompagnés. Beaucoup de joueurs ont du mal à folder un As ou une petite paire préflop, même sur une relance à 5BB. Donc au flop, que battait Kof exactement ? Uniquement les Ax et les paires 55, 66 et 77. Avec une relance standard à 2.5 préflop et un continuation bet il aurait pu se faire une idée assez précise de la valeur de la main de son adversaire. Si la réponse de celui-ci avait été de surrelancer, il aurait pu décider d’abandonner le coup, il aurait également chassé hors du coup une bonne partie des mains qui n’auraient rien touché au flop grâce à la mise de continuation. Mais encore une fois la relance à 5 BB préflop a faussé la donne dès le départ. Dans tous les cas ou presque Kof aurait perdu cette main, mais en ne surjouant pas sa paire moyenne il aurait pu se donner une porte de sortie et ainsi rester en vie dans le tournoi en n’ayant « pas perdu trop de plumes. »
Pour conclure cet article et même si chaque situation est différente (en fonction du type de joueurs à la table, de l’avancement du tournoi et des tapis), je dirai qu'il est important de ne pas surjouer les mains moyennes (AJ-A10-KQ-KJ font aussi partie de ces mains), encore moins en position UTG, vous risquez de vous embarquer dans des coups que vous ne maitriserez plus par la suite. Il est au contraire conseillé de jouer de la même manière préflop votre main qu’elle soit moyenne ou premium, pour éviter de donner des indications sur la valeur de celle-ci à vos adversaires. Si vous n’êtes pas à l’aise avec ces mains en position avancée, vous pouvez toujours les folder…cela n’est pas un drame !