Mon WPT Venise (2ème partie)
Mercredi 14 décembre au matin : comme très (trop) souvent, je n’ai pas dormi une seule minute de la nuit. En effet, le nolife que je suis ne peut s’empêcher d’allumer son PC quand la nuit s’invite. Pas spécialement stressé par le tournoi que je dois jouer dans quelques heures, mais ces 30 dernières années passées derrière un écran ont fait de moi un addict inconditionnel du clavier.
Mentalement, je suis prêt. Je me suis préparé à jouer un gros event depuis longtemps. Ces dernières semaines, j’ai accentué le travail. Très difficile à décrire en quelques lignes, mais je me suis conditionné jour après jour. Mon fort intérieur est persuadé que je suis en route pour faire une performance. Vous allez surement me dire que tout joueur qui s’aligne sur un tournoi est persuadé de la même chose… Très certainement, mais j’ai toujours été différent, la part d’irrationnel en moi me dit que c’est certain, que je vais frapper fort en cette fin de semaine Vénitienne !
D’ailleurs, je sais que quand j’ai annoncé que j’allais jouer un WPT, beaucoup se sont dit : « OK, il deep-run sur les tournois PS.fr depuis quelques mois, mais quand même ! ». Mais voilà, j’ai toujours été ainsi, toujours voulu repousser les limites et souvent été là où personne ne m’attendait. Illuminé je suis, illuminé je resterai…
Après les 2 ou 3 cigarettes qui font office de petit-déjeuner depuis si longtemps, je prends ma douche. Avant de quitter la chambre, je dis à ma femme « Si tu ne me vois pas revenir avant 16h, viens au casino ! Je serai tout en haut du classement ! ». Depuis quelques jours, nous venons de fêter nos 16 ans de vie commune, elle me connait par cœur. La seule qui me connait vraiment d’ailleurs. La seule personne qui ne m’a jamais pris pour un fou. Celle qui m’a toujours suivi dans mes délires. Celle avec qui j’ai vécu à Paris, Marseille, Toulouse, Lyon, New-York, Montréal et à qui j’ai dit un beau matin « Et si nous allions habiter dans la Creuse pour que je joue des freerolls et élever des brebis ? ». 10 jours plus tard nous emménagions dans un hameau où nous sommes les seuls habitants, alors qu’elle n’avait jamais passé plus de 2 jours à la campagne. Je ne suis pas matérialiste, je ne joue pas au poker pour l’argent, je ne joue pas au poker pour la gloire, pas plus que pour les titres. Je joue pour lire de la fierté dans ses yeux et dans ceux de mon fils. En 16 ans, 100 fois je suis monté tout en haut, 100 fois je suis tombé tout en bas, 1000 fois elle m’a relevé. Elle a toujours accepté ma mégalomanie et mes excès en tout genre.
Je frappe à la porte de Jessy et nous partons pour le casino. Une fois sur place, comme toujours avant de jouer, je bois quelques verres de vodka. Puis, il est l’heure d’aller dans la salle de tournoi. Le day1B du WPT va commencer dans quelques minutes. Jessy connait Arnaud « Frenchkiss » Mattern, il me le présente. En effet, ils ont fait partie de la même équipe en début d’année lors des championnats du monde de poker par équipe aux Bahamas. Nous échangeons quelques banalités. Je lui dis que j’ai beaucoup aimé le cours qu’il avait dispensé dans La Maison du Bluff. C’est alors, qu’un jeune homme s’invite dans la discussion. Un français, un certain Yoh Viral. Un jeune homme d’une vingtaine d’années, tout aussi sympathique que survolté.
Puis le directeur de tournoi nous invite à nous assoir. Je suis à la table #2. Pour le moment, un seul et unique adversaire a également pris place. Un certain Frenchkiss ^^ Bon, typiquement le genre de joueurs que l’on préfère éviter pour son 1er WPT, mais je vais devoir composer avec. Nous remplissons les formalités d’usages (autorisations en tout genre) et la table se garnit peu à peu. Nous sommes 2 français, 6 Italiens et est également assise une jeune femme étrangère qui aura son importance dans la suite de ce compte-rendu.
La partie commence. Comme souvent en live, il me faut quelques mains pour me sentir à l’aise. Je n’ai jamais été doué avec mes 10 doigts (lol). La manipulation des jetons reste un mystère intégral pour moi, même après un certain nombre de tournois live. En revanche, ce que je sais faire depuis tout petit, c’est analyser les gens qui m’entourent. Décrypter leurs attitudes, pour essayer de comprendre qui ils sont, comment ils fonctionnent. Le rythme du live est si lent que je m’amuse même à inventer des vies à mes adversaires. Je me parle à moi-même en permanence. « Tiens, celui-là est très certainement un amateur relativement aisé. Il doit être banquier. Oui, c’est un banquier, c’est sûr ! Le stylo dans la veste, la montre, les chaussures, les jetons méticuleusement empilés, ne trompent pas. Il doit avoir une certaine aversion pour le risque, il va falloir que je tente d’en profiter ».
Je regarde également, la façon dont misent mes adversaires. Leurs sizings, la rapidité du geste, le regard, la tête, le corps. Je constitue peu à peu une compilation des comportements de mes adversaires dans ma tête.
Rapidement, je constate qu’hormis Frenchkiss et un pro italien (plutôt nit), le niveau est assez faible. Ils veulent voir des flops ! Je me dis alors qu’ils vont devoir payer cher pour. La phase de 3Bet est enclenchée. Je ne les laisse pas respirer. J’attaque au moindre signe de faiblesse. Je sors la panoplie du joueur agressif. Raise, reraise, rereraise, bluff sur les boards en multiways, tout est bon pour les faire décrocher. J’accumule rapidement les jetons. J’évite soigneusement d’aller à la confrontation contre Frenchkiss. Non pas parce qu’il est Français, mais parce que je sais qu’il est doté d’une lecture redoutable et qu’en plus d’être un très bon joueur de MTT live, il a 10 000 fois plus d’expérience que moi. Je sais que la moindre de mes erreurs contre lui pourrait me couter très cher. Je le laisse grinder, il me laisse grinder…
Arrive un coup où je relance UTG (je crois) A7d. Un joueur à ma gauche 3Bet. Un joueur dans les blinds paie. Je dois avoir 400BB. OK, on y va ! Baby flop avec 2 carreaux et un 7. Check, check, bet. Je décide de check raise. Il me reraise all-in. Son tapis ne met pas le mien en danger, mais il me ferait du bien. Si je perds le coup, je suis encore pas si mal. Je sais que vu le déroulement du coup, je fais souvent face à une overpaire. J’espère juste qu’il ne s’agit pas d’AA (mon blocker me rassure néanmoins ^^), ce qui m’ôterai des outs. Une situation que je connais par cœur online. Avant de voir ses cartes, je sais que je joue dans l’idéal 9 carreaux, 3 AS et 2 7. En coin-flip légèrement favorable. On y va pour le gamble ! Il montre KK sans carreau. Le 7 tombe au turn !
C’est alors qu’un journaliste vient dans mon dos pour compter mon stack. Enfin comme il peut, les piles sont inégales et mélangées (lol). Je me retrouve dans mon bordel, c’est le principal ^^ Il me glisse alors dans l’oreillette que je suis chipleader.
Les heures passent et mon stack ne fait que grossir. A l’une des pauses, je fais la connaissance de Kzouls. Le vainqueur du TLB Pokerstars 2010. Un jeune d’une 20aine d’années qui depuis s’est reconverti avec succès dans les hautes-limites cash-game. Le genre de personnes discrètes qui transpirent l’humilité. La marque des vrais champions pour moi. Il me dit vouloir pratiquer de plus en plus le live. Mon petit doigt me dit que nous n’avons pas fini d’entendre parler de ce petit prodige. Du côté de Jessy, c’est plutôt la soupe à la grimace. Rien ne passe, un mauvais jour. D’ailleurs ces deux-là seront éliminés du tournoi avant même que nous n’atteignions le dinner-break.
Au dinner-break justement, j’ai aux environs de 110-120 K jetons. Jessy me prodigue ses conseils. Il reste 3 niveaux d’une heure à jouer, nous en avons déjà joué 6. Il a connu cette situation 2 semaines auparavant à Marrakech, avant de dilapider son stack dans les derniers niveaux. Il me dit de jouer le plus possible des coups sans variance et de préparer sereinement le Day2. Il est fatigué, il rentre à l’hôtel. Ma femme, quant à elle, n’est toujours pas arrivée. Je m’inquiète. Je retourne jouer. A vrai dire, à ce moment-là, je ne suis plus très lucide, oublie rapidement les conseils de Jessy et repart tambour battant. Je continue mon agression et mon stack gonfle aux alentours de 180K. Je passe même un 5Bet à Frenchkiss (brag). Les joueurs à ma table son agacés, je le sens très clairement. Puis, je me retourne pour la 1000ème fois et vois enfin ma femme derrière le rail. Je me lève immédiatement et me dirige vers. Elle me sourit et me dit « Toi, tu es chipleader ! ».
Après effusions en règle, à faire pâlir n’importe quel comédien italien, je retourne à ma place. Je me dis que la journée touche bientôt à son terme et que je dois calmer le jeu. Pourtant, je ne peux pas m’en empêcher. Je suis fatigué, je m’ennuie si je reste inactif. Alors, quand je découvre K4s en middle position, je décide de raise. Le genre de mains que l’on sait qu’il va très certainement falloir tourner en bluff si on est amené à jouer un board. Un joueur flat-call. Un joueur à qui j’avais pris 70% de son son tapis au flop lors d’un coup précédent et qui avait fold sur mon bet turn (lol). Bref, un profil calling-station par très inquiétant. Une jeune femme italienne qui venait de s’assoir et jouait donc sa 1ère main décide de me 3Bet. Je n’y crois pas un seul instant. Elle a l’air malicieux, de celle qui veut profiter de son arrivée et de son image de femme. Elle a un tapis plutôt conséquent, j’opte pour le 4Bet bluff. Le joueur qui m’avait flat call prend son temps et envoie son tapis ! La jeune femme sourit et fold (pour la petite histoire elle avait 74o). A ce moment-là je dis « Oh merde » ! Tout le monde comprend que je n’ai pas une premium dans l’histoire. Je suis commit au pot. Les journalistes s’attroupent, les joueurs des autres tables aussi. Quitte à avoir une image de merde autant qu’elle soit vérifiée par les cartes (lol). Je call. J’espère avoir tout de même un petit 30% dans l’histoire. Je n’aurais pas été mécontent à ce moment-là de voir un petit JJ ou QQ ! Aie, l’Italien montre AA. Nice flat trap commendatore ^^ Les Italiens gloussent, le Français vient de se faire prendre la main dans le sac. Même si les Italiens ont été plus que correct durant tout le séjour, on connait tous la rivalité qui oppose nos 2 pays quand il s’agit de compétition. Les joueurs de la table racontent le coup aux journalistes qui ne l’ont pas vu intégralement. Bien que je ne comprenne rien, j’entends à maintes reprise le terme de « Il spewer francese » quand ils racontent le coup. Surnom que les forums italiens reprendront pour raconter la main. Mon pseudo transalpin venait d’être inventé, il ne me quittera plus jusqu’à la fin du tournoi. Peu importe me dis-je, je n’ai même pas investi 10% de mon tapis dans l’histoire et me suis forgé une image ultra-dégelasse dont j’espère bien profiter par la suite.
La main suivante ou celle d’après (je ne sais plus trop), je trouve AKs en fin de position ! Yes cette fois une vraie main. L’autre jeune femme de la table 3Bet dans les blindes. Une fois encore, je 4Bet. Alors, elle part dans un cinéma pas possible. Elle me dit « Pourquoi tu joues comme ça, pourquoi il faut toujours que tu relances, j’en ai marre de toi ! ». Son skecth dure de longs instants, une fois encore les journalistes rappliquent. Elle répète en anglais : j’en ai marre, j’en ai marre et pousse son tapis ! Je ne réfléchis pas, je call (lol). Bon après 4Bet call K4s, je me vois mal fold AK (ninja). Cette fois c’est toute la salle qui est autour de la table. Elle retourne ses cartes : AA again ^^ A vrai dire, je ne suis pas tant étonné que ça. M’enfin, prendre AA en face deux fois consécutivement sur des 4Bet, ce n’est pas tous les jours en live. Et puis, elle avait de vraies raisons d’être en tilt, et puis et puis… Cette fois tout le monde est hilare. Les photos fusent. Je me sens encore plus seul au monde que quelques minutes plus tôt. Je prends tout de même la peine de regarder fixement le board tomber. Bien sûr pas de miracle. Le site WPT fait même une vidéo au sujet de cette main. (à partir de la 27ème seconde). 1/3 de mon tapis s’envole dans l’histoire.
La dernière heure sera un calvaire inimaginable. Je rate tout, je n’arrive plus à compter ! Pas de coup notable, mais l’accumulation des pots perdus me fait tomber dans les 50 000 jetons. J’ai les yeux braqués sur le timer. Puis, le directeur du tournoi nous informe qu’il reste 4 mains à jouer avant la fin de la journée. Je suis à un tel point de tilt que ces 4 mains résonnent dans ma tête comme des dizaines d’heures à jouer. A la maison, je balance mon écran contre le mur s'il faut, comme ça m'est arrivé tant de fois, ici je me sens pris au piège. Je suis quasi-persuadé que je vais bust lors de l’une de ces 4 mains. Pourtant, j’ai encore 50K sur des blinds 400/800. Je n’ai plus un once de lucidité. Je vais voir ma femme qui me dit « Demain tu reprends avec 50 BB, accroche-toi, il faut que tu t’accroches ! Quitte à ne pas regarder les 4 dernières mains ». Finalement, les 4 mains qui m’ont semblé durer des heures finissent par passer. Je fais les comptes comme je peux, mets tout dans le sac et repart à l’hôtel meurtri tel un boxeur qui vient de prendre un KO dans le dernier round alors qu’il a dominé tout le match ! A suivre…